Que reste-t-il de ces forêts tropicales, joyaux émeraude au parfum entêtant de chloryphylle ? Amazonie, bassin du Congo, Indonésie ou Papouasie-Nouvelle Guinée, partout elles sont coupées, pillées, brûlées, massacrées …
Je m'installai dans l'hélicoptère et m'apprêtai à vivre la magie de la forêt tropicale d'un autre point de vue. La canopée, véritable toit du monde végétal, se dévoila à mesure que nous nous élevions dans le ciel bleuté. Ici et là émergeaient, comme des sentinelles isolées, des arbres majestueux, sur les branches desquels je pouvais apercevoir, en plissant un peu les yeux, un calao faisant une courte escale dans sa traversée de l'océan végétal.
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Mais soudain, une fracture, une plaie béante, couleur sang, de terre mise à nu. Le royaume d'émeraude avait fait place à une singulière étendue géométrique, à un immense damier ocre et vert. Plus d'exubérance ni de fantaisie, mais ce même dessin, désolant, austère et monotone sur des kilomètres et des kilomètres. Le responsable : la culture extensive du palmier à huile.Chaque année sur l'ensemble du globe, ce sont environ treize millions d'hectares de forêts dont la moitié sous les tropiques, qui disparaissent, victimes des haches, tronçonneuses, bulldozers et feux non accidentels.
Un crime contre la biodiversité
Indonésie, Congo, Libéria, Pérou, Brésil ou Malaisie, partout ce terrible gâchis.
Avec ces forêts, ce sont des centaines, des milliers d’êtres vivants qui souffrent et qui disparaissent. Pas seulement des insectes, oiseaux ou reptiles, mais des hommes aussi qui, parce que ce qu’il vivent en harmonie avec cette forêt nourricière, paient peut-être le plus lourd tribut de tous, à la folie meurtrière de ces autres hommes qui, eux, semblent avoir définitivement tourné le dos à la nature.
Aujourd’hui, seuls 5% des terres émergées seraient occupés par la forêt contre près de 15% il y a moins d’un siècle. Entre 2000 et 2005, environ 7,3 millions d’hectares de forêts tropicales humides, soit l’équivalent de la surface d’un pays comme le Panama, furent chaque année rayés de la surface du globe. La moitié le furent en Amazonie. Mais ce sont certainement les forêts du sud-est asiatique qui souffrent le plus, attaquées de toutes part par les exploitations de bois, de pâte à papier et les monocultures titanesques de palmier à huile. La révolution industrielle de la Chine y contribue pour beaucoup. Dans cet immense pays si densément peuplé, le besoin en matières premières pour l’industrie et l’ouverture d’un commerce florissant avec les pays occidentaux pousse les Chinois à l’exploitation effrénée des ressources naturelles. Suite aux graves problèmes environnementaux dans le pays, liés au déboisement de grande ampleur dans certaines régions, l’exploitation des forêts nationales fut stoppée et les Chinois se sont maintenant tournés vers l’Asie et l’Afrique en particulier. Mais pas seulement, car l’huile de palme se cache partout, dans beaucoup de nos produits de consommation : cosmétiques, détergents, peintures, surgelés, chocolat, céréales… Avec l’arrivée sur le marché de biocarburants qui n’ont strictement rien de BIO -les cultures de plantes sucrières ou d’oléagineux étant notamment abondamment arrosés d’engrais et de pesticides, issus du pétrole-, l’Europe a commencé à importer de l’huile de palme en quantité des pays d’Asie du sud-est, et l’Indonésie se prépare à convertir plusieurs millions d’hectares de forêts supplémentaires pour alimenter cet prometteur marché des « agro »carburants. Quelle vaste supercherie !
Une économie et une mondialisation prédatrice
Derrière cette déforestation à très grande échelle se cachent toujours d’importants enjeux économiques et politiques, arbitrés notamment par les institutions financières internationales que sont, entre autres, la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International. En toile de fond, l’opposition entre les pays du Nord, riches financièrement mais pauvres en ressources naturelles, et les pays du Sud, fortement endettés et pauvres, mais abritant une abondante biodiversité et d’importantes ressources naturelles.
Afin de nourrir un mode de vie occidental toujours plus affamé, où gaspillage et opulence règnent en maître, les pays du Nord, déploient de multiples ruses et stratégies afin de s’accaparer par tous les moyens, les ressources naturelles de leurs ‘pauvres’ voisins. Un pillage de ces richesses plus ou moins déguisé sous forme d’aides au développement, trouve ses racines dans le colonialisme, dès la fin du 15ème siècle.
Hier le caoutchouc, aujourd'hui l'huile de palme. Ici les crevettes, là la pâte à papier. Depuis toujours, les ressources de la forêt excitent la convoitise des hommes, qui la pillent, la détruisent, la polluent, en exterminent les espèces animales et en chassent les communautés autochtones, pour le plus grand profit de quelques-uns.
Agir, vite !
Les forêts sont les poumons et climatiseurs de la planète. Aujourd'hui, elles sont rongées par un cancer mortel dont nous, les hommes, portons l'entière responsabilité. Ce livre est un hommage aux forêts, à la biodiversité et aux peuples autochtones y vivant, mais c’est surtout aussi un cri d’alarme dénonçant les causes, enjeux et conséquences de ce crime contre la biodiversité. Un livre pour comprendre et réagir…avant qu’il ne soit trop tard !
“Ces forêts qu’on assassine”
Emmanuelle Grundmann – préface de Jane Goodall
Imprimé sur du papier 100% recyclé
Editions Calmann-Levy
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